Faut-il avoir des craintes quant à la bonne tenue des délais de règlement à venir ?

C’est un tsunami sanitaire qui s’est abattu sur le monde et qui a mis à l’arrêt toutes les économies et la vie dans chaque pays. Il s’agit d’une crise totalement inédite et dont les volumes d’aides et d’endettement induits, pour tous les agents économiques (et en particulier pour les entreprises : 2.000 milliards de dettes !) sont sans aucune mesure avec ceux de 2008. Tandis que la préparation de la 7e édition des Assises des délais de paiement se poursuit, pour se dérouler le 28 octobre prochain, nous avons souhaité recueillir l’analyse d’Eric Scherer, président de l’AFDCC, sur les conséquences économiques de la pandémie de COVID-19 et l’importance de ce rendez-vous.


Les conséquences sont très importantes et vont nous marquer durablement :

  • en premier lieu, celles et ceux qui ont perdu un être cher.
  • en second, celles et ceux qui sont, ou seront les victimes de la crise économique qui découle inévitablement la mise à l’arrêt du commerce mondial.
  • enfin, l’ensemble des populations qui subit dans leur chair les conséquences psychologiques et physiques de ce séisme planétaire.

De manière générale, on peut craindre :

  • que le « matelas » des aides ne soit retiré top tôt (malgré la leçon de 2008),
  • une brutale dégradation de la situation économique et sociale à la rentrée ainsi qu’au début de l’année 2021,
  • que certains de ces concours ne soient pas renouvelés en cas de nouveaux besoins ponctuels ou complémentaires.

En tant que Credit Managers, nous avons été au cœur du cyclone dans nos entreprises – encaissements des clients et maîtrise des risques de défaillance – et nos pratiques professionnelles se trouvent modifiées par les leçons que nous avons apprises de cette situation exceptionnelle. C’est pourquoi les Assises des délais de paiement demeurent un événement essentiel pour qu’on se souvienne de cette période et pour qu’on diffuse à tous ce qu’ont été les meilleures pratiques des entreprises, dans leur volet impact sur la trésorerie et anticipation des difficultés des entreprises.

Quels sont les constats que nous pouvons formuler et quelles sont nos interrogations ?

  • Les retards de paiement se sont accrus dans un premier temps, celui de la sidération, puis les comportements sont redevenus habituels même s’il faut résorber le stock de créances en retard.
  • Les banques ont bien joué leur rôle notamment dans la distribution des prêts aidés par l’Etat.
  • Les assureurs-crédit ont-ils joué le leur, car des défaillances sont à venir ? Permettent-ils aux entreprises de développer leur chiffre d’affaires en période de reprise économique ?

Quelles sont les leçons que nous avons apprises ?

  • Les grandes entreprises doivent être solidaires des plus petites. Les comportements trop individualistes ne sont pas citoyens. Les comportements admirables doivent être cités en exemple.
  • Les entreprises zombies ou celles qui étaient trop fragilisées ne pourront pas survivre à cette période. C’est une réalité, il faut l’admettre et limiter la casse sociale.
  • La digitalisation a montré combien elle pouvait permettre de travailler autrement avec des effets positifs sur l’environnement notamment. Comment opérer une bonne transition vers une plus grande numérisation de l’économie ?

Comment les utiliser pour développer de nouvelles bonnes pratiques professionnelles ?

  • Toute mutation est source d’inquiétude. Le rôle des Assises des délais de paiement est de redonner de l’espoir dans l’avenir et dans les nouvelles pratiques qui commencent à émerger.
  • Les banques, les assureurs-crédit doivent avoir confiance dans les entreprises et leurs capacités à rebondir, même s’il faut digérer la période blanche. L’Etat aussi doit être fier de son tissu entrepreneurial pour donner l’impulsion nécessaire au rétablissement de la confiance.
  • L’information commerciale ne sera plus la même. Elle doit désormais prendre en compte la capacité des organisations à résister et à se réinventer pour repartir même si le moteur de la croissance n’est plus aussi dynamique.
  • Les délais de paiement doivent toujours rester un bon indicateur de la rigueur de gestion des donneurs d’ordre publics et privés. Il faut valoriser les bons comportements et montrer les dérives pour inciter aux corrections nécessaires.
  • La pratique des modes alternatifs de règlement des litiges montre leur rôle pédagogique auprès de ceux qui profitent de leur position de force pour imposer leur point de vue. C’est toute la dimension citoyenne des pratiques professionnelles.
  • Le crédit interentreprises continuera de jouer son rôle dans la négociation commerciale. Il ne doit pas devenir plus important qu’actuellement et doit être contenu. Son utilité doit être soutenue par les banques qui doivent aider les entreprises à renforcer leurs fonds propres.

Ce qu’on peut craindre encore :

  • Des secteurs durablement sinistrés : ex. automobile et aéronautique (situation alarmante des sous-traitants),
  • Un stress particulier par manque de visibilité quant à un éventuel retour à la normale,
  • Des secteurs pour lesquels la crise actuelle a encore accéléré les défaillances ou les restructurations ou les cessions car leurs acteurs n’avaient pas suffisamment anticipé les changements de modes de consommation. Je citerai volontiers la grande distribution (« un acteur de trop » déjà patent pour certains analystes avant crise), en particulier la plus spécialisée avec des modèles et des offres devant par nature évoluer très vite, poussés notamment par l’e-commerce et le changement rapide des comportements des consommateurs.
  • Des secteurs fragiles par nature du fait d’une sous-capitalisation et d’une rentabilité structurelles trop faible. Là encore, je pointe le BTP qui est handicapé encore davantage par le surcoût lié aux mesures sanitaires. Ainsi que la fragilité des sociétés indépendantes et de taille moyenne qui sont des donneurs d’ordres ou des sous-traitants de grands groupes.
  • Une baisse de l’exemplarité du comportement comme payeur de l’Etat (marchés publics) et des grands groupes (marchés privés). Au contraire, il est vital de maintenir des avances et acomptes permettant de financer les travaux en cours et ainsi éviter des faillites.
  • Les entreprises qui n’ont pu obtenir (suffisamment) d’aides ou qui attendent encore des réponses/solutions consistant en des abandons définitifs de certaines de leurs charges compte tenu du fait qu’elles ont dû complètement arrêter leurs activités. Ainsi, les charges locatives pour le secteur du commerce (cf la difficile négociation menée récemment sous l’égide de Jeanne-Marie Prost qui préside avec Pierre Pelouzet, Médiateur des entreprises, le comité stratégique des Assises des délais de paiement) ou les charges fiscales et sociales pour celles qui auraient fait l’objet d’un moratoire.
  • Des couvertures d’assurance-crédit ou des lignes de crédit bancaires non renouvelées ou beaucoup moins facilement que précédemment. Je pense notamment au secteur du négoce/ des grossistes/ des saisonniers pour lequel un arrêt d’une couverture d’AC à cause d’une perte ponctuelle et facilement explicable (déménagement/changement de système informatique) peut avoir un effet dévastateur en poussant à des demandes de règlements comptants injustifiés pour une entreprise au regard de son ancienneté, de sa surface financière et de sa capacité de rebond déjà démontrée dans le passé.
  • Des entreprises tentées de « capitaliser » les PGE obtenus parce qu’elles l’ont demandé à titre de précaution et qu’elles n’envisagent pas de le maintenir au-delà d’un an : pour autant, elles n’assoupliront pas leurs délais de règlement.
  • Des entreprises « zombies », déjà surendettées avant la crise mais encore maintenues provisoirement en activité et qui « tiraient » déjà sur les délais de paiement ou voulaient imposer un système de « dépôt-vente ».

Quelles sont les cordes à actionner, les actions à mener ?

  • Affacturage (maintien des encours pour les plus fragiles),
  • Factoring inversé (escompte) : une technique prometteuse et bénéfique si elle n’est pas réduite à obtenir un escompte trop avantageux pour l’une des parties,
  • Le nouveau programme de soutien à l’assurance-crédit (Cap Relais),
  • Des soutiens des grandes entreprises vers les plus petites pour améliorer leur cotation,
  • La digitalisation de processus de recouvrement qui a aussi connu un coup d’accélérateur,
  • Des procédures d’urgence pour la détection et la prévention initiées par les TC (mandat ad hoc et conciliation),
  • De nouveaux services d’enquêtes à « valeur ajoutée » proposés par les stés de renseignements pour nous aider à distinguer celles qui survivront et à anticiper les défaillances  

Il est, en effet, prioritaire de travailler avec les entreprises viables ou en phase de retournement plutôt qu’avec les entreprises « zombies » qui tomberont de toute façon. On sait d’ores et déjà qu’il faudra, à la rentrée, renforcer les fonds propres de nos entreprises d’une manière ou d’une autre (par conversion de dettes ?) pour faire face à de nouveaux besoins.

Pour résumer, si pour chacun, « cash is king », et que nous sommes tous astreints à faire des prévisions de trésorerie de plus en plus fréquentes incluant aussi des économies, nous devons aussi faire prendre conscience que le crédit interentreprises, très important dans notre pays, ne doit pas être utilisé comme une autre « corde » à actionner/une variable d’ajustement pour préserver sa trésorerie mais que le parfait respect des délais de paiement est un comportement nécessaire, citoyen et solidaire pour éviter plus de faillites et de chômage.

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